samedi 13 septembre 2025

La digitale pourpre [1]




2 décembre 2025


Note d’un après-midi d’automne. Le tout-venant des traducteurs européens probablement l’aura remarqué — qu’existe spécial et à double entrée, le mot gift. Remarqué, cela l’aura été ici il y a bien longtemps, pour qui écrit, sans y prêter attention outre mesure, ou alors sans la pensée en tout cas d’écrire un mot à cet endroit. L’endroit : celui même d’introduire un opus (texte appelé opus ou opium) dont il n’y a encore d’idée qu’indistincte, tout s’édifie pas à pas, le pas ouvert à tous les périls, ou se les inventant. Gift, venons-y, le mot gift existe aussi bien en anglais qu’en allemand, est-il davantage anglais qu’allemand (s’en remettant à leur signification respective et distincte) ? La question semblera étrange, de même que le serait la phrase qui vient, avec apparition instable dans [sic] le papier : « J’ai un poison pour vous, je rêvais de vous faire présent d’un poison, mais sans vous le dire jamais, de vous faire présent de la mort par lui, présent pas si impersonnel qu’il paraît, la mort seule. » La phrase sera reprise sous peu, d’abord superficiellement, commençant par la surface (de seules retouches, réglage de la ponctuation, effacements sans conséquences) puis en profondeur avec les remaniements d’envergure, ouvrant sur le méconnaissable, à supposer qu’il y ait mémoire encore de la phrase initiale. D’ici-là, donc : le gift anglais se traduit par présent (cadeau, offrande), tandis que l’allemand, par poison. S’il y a rapport. Aucun apparemment, le mot est le même mais aucun ; sauf à ce que se rappelle soudainement (pensée réflexe) l’expression de « cadeau empoisonné », où s’opère la jonction entre les deux sens que tout opposait, mais un instant, être interpellé d’une question, rue Morgue, et question enregistrée pour plus tard : est-il encore fait usage de par le monde de poisons ? La bande tourne encore : A. R. en 1873 — inoubliablement dans sa Saison, et de mémoire : la gorgée avalée (de poison comme remontant en vérité, acheminant vers des insondables scripturaux). Inquiétude, au vu de ce qui ici déferle. Que la note en présence soit le cadeau empoisonné de ce mois de décembre, auquel cas n’en rien lire, que nul ne lise, et laisser l’écriture se faire quelque part, dans le secret. En une marge tenez : il ne serait pas indifférent que le Gift allemand signifie poison, interprétation « de travers » des gestes de l’offrande (présent, cadeau), de ce qu’est l’offrande comme élan du cœur ou c’est qu’il s’agit d’autre chose, l’autre chose ici est : avoir donné à gift le sens de poison, en allemand, donc, dans cette langue même qui aura été inoubliablement un poison il y a de seules décennies, et qui — soit — ne la résume pas. De Nietzsche à Paul Celan, de Heine (reprise du Buch der Lieder ces temps-ci) à Kafka — ou les noms de ceux qui l’auront rendue lisible encore, possible s’entend. 


3 décembre 2025. 


Poison en anglais se dit poison, il peut y avoir recherche d’anagrammes, ou alors traversée de la chambre vers les cinq volumes du Littré, non que ne se sache la définition de poison, mais : au cas où (il acheminerait vers quelque poissonnerie, à supposer qu’elles n’aient pas toutes fermé, qu’est-ce qu’un poisson, et quoi des poisons qui en lui « sommeillent » ? L’eau océanique devenue irrespirable, d’un empoisonnement sur de seules décennies). Le Littré — plus d’une définition pour poison, dont il est dit, dont il ne compte peut-être pas pour rien que le mot « était autrefois féminin, comme le veut l’étymologie. » La poison. « Poissard, arde » suit immédiatement : « Qui imite le langage et les mœurs du bas peuple », mais le lien avec poisson n’est pas établi, et aussi bien n’en est-il aucun. Poisseux plus loin, avant poissillon et enfin poisson. Le Littré est placé de côté sur la table afin d’y revenir l’occasion apparue. Et si nous préservions le féminin, réactivions le féminin originel (ou d’« autrefois ») de poison ? La poison, ainsi qu’il a été dit. Et cela pour un peu perturber d’emblée l’ordre du discours, sitôt commencé. Et commençant sur — donc — une première étrangeté flagrante. Soit, non pas le poison que « serait » (image) unetelle, dans l’expression — d’avant l’âge du féminisme : « une femme, une fille mauvaise comme du poison » [Le Littré, toujours] mais plus radicalement, allant à la racine, la poison. Et cela, à fin de perturbation une fois encore (de l’ordre du genre tel qu’en cause de manière prononcée dans notre siècle). S’il y a lieu de citer ici tout l’article. Impossible. Outre qu’intéresse, non pas ici déjà mais pour plus tard, la citation qui suit : « La contre-poison doit estre plus forte que la poison, à fin qu’elle domine. » [Le Littré]. Reprenons : « J’ai un poisson (fish, Fisch) pour vous, je rêvais de vous faire présent (gift) d’une poison (Gift) dans le poisson. » On croira — d’un certain dehors — que celui ou celle qui parle s’essaye au français, ou qu’un(e) enfant parle, la faute ne serait pas ici de ne pas corriger mais de corriger. Reprise modifiante et hâtive, hâtive : de peur que se perde un fil dont nul ne sait s’il existe tout à fait, pour qu’il y ait discours dans les règles de l’art : « Je tenais à vous faire offrande, presque secrètement en cet auditorium* où nous nous retrouvons une dernière fois en ce mois de décembre, d’un poisson pour ce qu’il dissimule qu’il me faut taire, ici. D’avance : vous le direz avarié ou garderez pour vous cette pensée, comme s’il pouvait y avoir vexation, mordant dans sa chair rose avec peut-être répulsion, et déjà : trop tard, votre vue se trouble que se passe-t-il ? Qu’il y ait chaise… » Scène invraisemblable de l’empoisonnement, qui l’aura voulue ? Cela n’est pas dit. Et était-elle obligée ? Comment savoir ? Le volume si infime soit-il ne commence qu’à peine. 


4 décembre 2025. 


Une divination dirait, sans rien gâcher (poison du spoiling) de ce qui importe ici, où achemine cet opus, ce que ne sait pas même qui écrit. Risquant à tout instant de perdre le fil, de manière irréparable (Valéry ici rassure, de mémoire : « Penser, c’est perdre le fil. »). La mémoire, venons-y, serait en cause, la poison d’oublier tout toujours. Non pas tout, l’oubli a ses objets de prédilection, par caprices — et l’écriture de tenir lieu à cet égard de sauvetage (de ce qui sans elle allait se perdre). Il était une fois une phrase, la phrase même de l’opus telle qu’elle occupera longtemps et remaniée à l’avenir exposant les variantes. Aujourd’hui : « J’ai pour vous une poison, 15 h 13 et l’angoisse (cette poison) soudaine ici, c’est un possible, qu’aurait été écrit déjà ce texte — par un autre (voire soi-même, ayant tout oublié, ce cas comme impossible), obligeant à une destruction de l’opus. On dira : le ou la poison, le thème de le ou la poison (en écriture) n’appartient à personne, voire : qu’il appartient à quiconque précisément de s’en emparer, au titre des différences susceptibles d’apparaître, et d’envergure, même. Ceci importe, comme il importe que l’on s’y entende de nos jours en poisons, s’agissant de poisons, thème mondial, intrinsèque au monde tel qu’il est devenu, les alertes innombrables (ce qui est fait aux littoraux, dans les océans aux coraux, dans les terres aux sous-sols et nappes phréatiques, les pluies acides selon quoi se suspectent jusqu’aux nuages, 18 h 16 où s’interrompt l’énumération, une main pour la retenir, reportée à d’autres heures : l’écologie, ce qui est fait à l’écosystème (la déforestation massive comme pièce du puzzle de la dévastation ; du puzzle non pas à constituer mais se défaisant, pièce après pièce : il peut subsister tenez des milliers de millions de pièces encore — certaines plus sensibles que d’autres — mais se défaisant avec vitesse qui sidère). Ou le fragment qui vient, à l’état d’esquisse : L’homme se sera fourvoyé pensant que toute apparition du terrestre était faite pour lui seul, destructible du reste selon un lieu d’être opaque, juste : que n’aient pas lieu les répercussions ou alors qu’elles aient lieu mais seulement s’il se scinde en plus d’un, qu’il y ait foules, un peuple de peuples, qu’autrement dit il ne soit pas seul en cause, et que se partagent les répercussions, 


5 décembre 2025. 


Un auditorium évoqué il y a peu, où il viendrait d’être fait offrande du poisson, du poisson et ce qu’on sait de lui, pourquoi ce lieu ? (Il y a ce qui ne se sait pas, mais susceptible d’être su plus tard) le poisson préparé en quelque cuisine, tout d’herbes thym, estragon, cerfeuil, en ses entrailles pour dissimuler, couvrir l’odeur de ciguë (Conium maculatum). On ne comprend encore que mal la scène : scène de l’empoisonnement trouvée folle — la folie ne ferait pas un doute —, d’inexpliquée qu’elle est encore, ce qui la justifie d’être, et la musique : idéale pour la mort. On veut savoir, et on veut savoir mille choses, qui est qui ? Qui empoisonne et pourquoi ? Note : un écart s’écarter du propos — d’une lecture ; à supposer qu’il y ait lieu de la rapporter (ce serait : pour faire diversion or il y a ce qui, avec elle, vient étayer), dans les Mythologies de R. Barthes et l’article relatif au plastique, dont il ne se savait alors (1957) pas l’étendue de ses méfaits, comme « substance alchimique », plus loin : « plus qu’une substance » ; les répercussions désastreuses de sa prolifération (« il est, comme son nom vulgaire l’indique, l’ubiquité rendue visible ») avant que d’échouer, place spéciale, dans le septième continent. L’assertion qui intéresse est celle-ci, relevant de la semi-voyance, outre qu’il y a ce qui apparaissait déjà, remontant dans les décennies : « La hiérarchie des substances est abolie, une seule les remplace toutes : le monde entier peut être plastifié, et la vie elle-même, puisque, paraît-il, on commence à fabriquer des aortes en plastique. » Ce qu’il en est de la folie, et de l’intention de la situer, ce qui ne se peut que mal en cette heure où tombe la nuit, que les relectures de ce qui précède inquiètent, c’est — sans doute — aller trop loin, à peine commencée pourtant l’histoire des poissons puissions-nous comprendre ; des poissons, poisons dont il est fait présent (gift) dans un présent (present) que distordront tout à l’heure des « substances » retorses l’inévidence s’entend d’écrire sous leur emprise, 


6 décembre 2025. 


Reprise : « Je rêvais de vous faire offrande d’un poisson, » typiquement une phrase du rêve (ce qui ne s’explique que mal, qu’il importe d’éclaircir), attenante au rêve plutôt qu’à la folie. Le cas de la phrase rêvée écarte la folie, il y a frontière — ayant semblé d’abord incertaine (frontière à rendre certaine*, s’il importe de se défendre de la folie), naturelle est-il ajouté, ligne de crète d’une cordillère tenez, mais une question : qu’en est-il du rêve éveillé, s’il est le cas ici ? Un entre-deux entre le rêve et la folie ? Il y a jusqu’à l’auditorium, cadre invraisemblable (on y diffuse Les Indes galantes de Rameau), pour sembler conforter la piste du rêve, sans encore infirmer celle de la folie, il y a ce que l’on sait, s’agissant du cas de s’en défendre, que s’en défendre serait chose précisément de la folie, ou ne lui étant pas impossible. Reprise : au point où on en est (merveilleuse formule), il pourrait très bien y avoir retouches, de la sorte, de la phrase dite à présent du rêve éveillé : « Je tenais à vous faire offrande d’une poisson ou alors d’un poissonne, selon votre préférence ; l’important ici est qu’il y ait poison, et que vous n’en soupçonniez rien. Ainsi je vous parle et il vous apparaîtra sans doute que tout n’est pas prononcé (que tout n’apparaît pas, qu’il est dans la parole des silences de ce qui doit être tu, selon une nécessité qui vous échappera), vous ne mordriez pas sinon dans la poisson. » Tout se passe ici comme s’il y avait destinataire autre, parlant, je te parle mais en vérité à un autre, cette vérité n’est pas dite, ne peut l’être, il importe en effet que vous mordiez, les morsures dans la chair, une seule y suffira, dans le rose éclatant (on se sera figuré un sexe), où subsiste un goût de sel, de sel océanique mêlé à l’arsenic ou quelque autre poison que ce soit dont il résulterait la mort, le rêve (éveillé) ne précise rien de l’intention ou du pourquoi, une fois encore qui est qui, et qui pour vouloir l’irréversible, or si cela n’intéressait pas ? Tout saurait être établi, le lieu d’être de l’assassinat, si ce n’est qu’épuise d’avance la fiction, s’expliquer, alors que peut-il se passer ? Ceci, des reformulations (de la phrase qui nous occupe, dite phrase onirique) jusqu’à la dernière d’entre elles, où plus rien ne se peut retoucher, et dès lors tout semblera mourir, être chose de la mort (mais pour quel regard ? Regard insoutenable, comment le détourner ?), que jamais nous ne parvenions à cette dernière, peut-être est-elle impossible, comprenez que cette impossibilité est la chance. Les Indes galantes elles encore dans l’auditorium, et la phrase d’être reprise, elle peut l’être sans plus de crainte à présent ou alors est-ce hâter trop le pas. 


7 décembre 2025. 


« Quelle est la fleur la plus mortelle ? » pour ne s’écarter qu’à peine du sujet, cette question apparue sur la Toile, et une liste d’apparaître d’où figure notamment La digitale pourpre, et il y a jusqu’au nom pour intriguer, conférant une aura à la fleur, outre que de toute beauté rappelant l’Iris, et c’est n’oublier pas non plus le monde forestier des champignons, incluant les mortels dont il faudrait en une marge toute une liste (à commencer par L’Entolome livide), afin que frappent les noms étranges, qui aura nommé ? Quelle sorte spéciale d’académiciens — traduisant à l’occasion du latin, et sous l’emprise pas exclue de plantes aphrodisiaques ou hallucinogènes. Il aura ainsi fallu décider de la poison (herbe, fleur, champignon) pour contaminer jusqu’aux entrailles du poisson depuis la chair. Reprise de la phrase onirique, 21 h 39 : « Je rêvais de vous faire offrande de ceci, idée spéciale mais fondée d’être cela se saura, et vous d’en écarter aussitôt l’enveloppe de papier d’où parviennent, profuses et fusionnantes, les senteurs d’herbes : un poisson, une faim en aura raison, cisaillant à même les écailles au moyen d’une lame longitudinalement et en profondeur ses flancs afin d’en extraire la bande d’arêtes et voici la chair telle qu’il ne me serait pas impensable d’y mordre, telle que j’y mordrai dites seulement si je le puis, s’il n’importe pas que vous y mordiez aussi et peut-être me devanciez,