vendredi 12 septembre 2025

La Digitale pourpre [2]

 



8 décembre 2025. 


Comment mord-on (à pleines dents dans la chair d’un poisson — saumon mettons — et quand bien même il subsisterait des arêtes, voire subodorant sous les senteurs d’herbes l’arsenic ou un autre poison de l’ordre des détectables olfactivement), comment meurt-on s’entend ? Sachant la mort prochaine, importe-t-il de s’y laisser glisser (parce qu’il y aurait douceur des derniers instants), ou alors d’y opposer une résistance ? Le cas de résister n’assurant pas d’un surcroît de temps accordé, ce qui est comme impliquer, soit dit en passant, l’existence mais où cela d’un dieu — pour accorder. S’il n’était pas autrement dit de guérison possible, ayant mordu ; mais qu’il n’importait pas, précisément, de l’être, guéri, voire : qu’il ne s’agissait surtout pas de l’être. Guérir en italien tenez (c’est autre étrangeté, la deuxième étrangeté flagrante) se dit curare. Curare à l’origine un poison — d’étymologie étrange qui serait à dire, à supposer que sûre — et utilisé de nos jours, en médecine, comme relaxant musculaire. Le mot ainsi est le même, mais il y a distinction : curare, poison, curare, guérir. Le Littré (dont l’écriture peut-être date, le lieu d’être cependant d’y recourir figure) : « Curare, s. m. Poison avec lequel les indigènes d’Amérique méridionale empoisonnent leurs flèches et qui est d’une extrême énergie. » Plus loin : « Curariser : Terme de toxicologie. Introduire du curare dans un corps vivant. Des individus curarisés éprouvent, une demi-heure après l’injection, un besoin irrésistible de dormir. » Un besoin irrésistible de dormir, s’il se peut cela donc, d’un poison, et ne plus se réveiller. Cela aurait lieu dans l’auditorium où se diffusent, encore et toujours, Les Indes galantes et les voici comme familières à présent. Tu viens à l’instant de mordre, première et dernière, dans le poisson et te sens au bord de t’évanouir, « Qu’il y ait chaise, mieux encore un lit. » Et il y a. Le lit espéré, et t’y étends. Il s’agira de maquiller en suicide l’empoisonnement, et le poison dans le rêve se fait autre — se fait autre et ciguë. Un jour, peut-être proche, importera-t-il de dire le pourquoi de l’empoisonnement, aux parce que par dizaines, et cela décevra. Le futur désobligeant d’obliger, où se rompt le charme de la nescience, l’imagination à l’œuvre pour qui lit, qui écrirait s’il avait d’écrire l’expérience, ou le cœur mais indéfiniment différer (procrastination). 18 h 47, toute heure peut être celle d’inscriptions précieuses pour le présent opus dont le titre vient de tomber : La digitale pourpre. Il y faut dès lors, presque, le sans-relâche qui ne sera pas éternel, un amenuisement des réserves saurait advenir dans les jours à venir, à moins qu’elles ne se rechargent « d’elles-mêmes », cas de n’avoir pas tout épuisé du thème, s’il peut seulement l’être, du ou de la poison, et de la phrase onirique à reprendre, des réécritures attendent d’y ajouter — tant de versions qu’aucune ne résumera, se prenant pour la seule parce que tenez dernière, derrière elle d’autres virtuellement figurant, 


9 décembre 2025. 


Les noms, en marge* de l’opus ; une liste des noms du vénéneux (au venimeux, a été écarté jusqu’ici le venimeux, des animaux de la reptation notamment mais c’est oublier certaines araignées, dont le venin saurait tenir lieu de poison) serait à dresser, adressée sitôt établie — à qui lira ; si elle peut l’être, adressée, sans oublier, l’exhaustivité dans le rêve. Une telle liste serait rouleau de la littérature même, de plus d’un auteur ayant nommé en d’autres siècles, de noms retors — tels cas — suggérant tout sauf la toxicité (Belladone, Bois-joli, Violette de montagne), ce serait même le contraire : attrayants, du dehors, et d’en avoir voulu tirer des parfums, appelés, « titrés » de ces noms mêmes. Les Indes galantes, et les affaires reprennent, le fil rouge réactivé — la phrase onirique qui est intrusion du littéraire dans le discours. Littérature spéciale comme elle devrait toujours l’être, ou alors telle qu’ici rêvée, dans le rêve éveillé parti pour s’étendre sur de longs jours. — Et après ? — Cela n’est pas pensé (« trou noir » à l’endroit du futur), le fil pourra se perdre, sans empêcher cependant l’écriture, déviant sur du tout autre, mais c’est là le pire des cas, l’abandon de ce qui initialement intéressait, apparu alors comme véritable filon. Ce cas n’est pas le cas obligé ou inéluctable, 17 h 29 et se reprend la phrase onirique que semblera disloquer un poison : « Je rêvais de vous faire offrande d’un poison (laps de temps, infime, d’un lapsus flanquant par terre, n’en entendez rien, la phrase dès lors à reprendre), d’un poisson, animal du temps des animaux marins (vestige d’une comestibilité peu sûre, outre le poison), de quand date cette phrase, future selon toute vraisemblance mais dater. Note vespérale. L’empoisonnement et son lieu d’être (à supposer que résumable en un mot), il peut n’en être aucun, tout au plus littéraire, qui intéresse en littérature comme « exotisme », non que tuer, que le calcul de tuer soit désormais d’un autre âge — celui de l’immaturité —, mais ici, dans La digitale pourpre


10 décembre 2025. 


L’empoisonnement dans l’opus et avec la phrase onirique, ce qui en aura décidé et s’il y a lieu d’en répondre phrase survenue une première fois dans l’irréflexion et le temps de l’éclair, il n’était alors que de la laisser s’inscrire — et après seulement : d’en effectuer une lecture, entendre qu’elle n’aura été lue qu’à peine la première fois, s’inscrivant dans le deuxième cahier ; la phrase depuis est aux variantes innombrables dont les futures, où tout se répète, où il semble importer la répétition, n’est jamais chose du passé, reprise chaque jour dans le rêve éveillé, les variantes : il s’agit d’améliorer la phrase, de la rendre meilleure, on la dit touchante quoique perfectible (selon des critères attenants à l’art littéraire), touchante : il touche l’attention de donner la mort, de faire présent de la mort, attendu qu’il y avait d’elle attente, plus ou moins formulée, nous l’ignorions, nous l’apprenons ici-même, qu’autrement dit donner la mort puisse être le geste même de l’amitié — devient le sujet s’il y a lieu de le traiter, auquel cas de ne le pas traiter mal. C’est ainsi au nom de l’amitié que, mais alors pourquoi le secret du poison ? Secret de polichinelle, secret pour la forme ou alors par jeu, s’il est entendu que tu auras entendu, m’entendant te parler. Et c’est le cas, ce que dissimulait la chair du poisson dont tournera tout à l’heure la couleur, rose s’obscurcissant, poisson pourri, il faudra alors se forcer à manger, ce qui n’est rien dire de l’odeur s’accentuant ad nauseam et à peine voilée par les herbes dissimulatrices (du poison), mais ici le rêve tourne au cauchemar, l’opus est à ne plus lire, la consigne outrepassée gageons, jamais il ne le serait autant — lu —, et il y a jusqu’à cette phrase (à la crête du cauchemar), pour s’inscrire : Le poison dissimulera le poisson. Le poison dissimulera le monde même jusqu’à disparition, question de secondes, à savoir : pour ce cas de l’empoisonnée, dans l’auditorium où par chance nul ne signale un malaise, et ce sont les Indes galantes encore, pour transition de ce monde vers l’au-delà, douceur le poison est indolore ; toute d’hallucinations non décrites, qu’il ne viendrait à l’idée de personne de questionner, mais éprouvées jusqu’à l’arrêt du battement cardiaque, une convulsion peut-être, révulsion des yeux, et c’est n’être plus. De côté, pour plus tard, pour lorsqu’il sera temps, Méphistophélès, dans le Faust rouvert : « Un bon verre de la liqueur que tu sais, mais de la plus vieille, je te prie, car les années doublent sa force. » Aurait inspiré la scène de l’empoisonnement — sa phrase, même, jusqu’au phrasé de cette phrase même. Ou alors, pour faire chanceler l’hypothèse, n’arrive qu’après, qu’en cette fin d’après-midi, avec la pensée qu’il aurait pu venir secourir (Goethe, 1831, trad. de Nerval). Il faut ainsi des lectures à La digitale pourpre, pourpre : pour premières, alimentant la phrase onirique ; tues, la plupart — ou le catalogue impossible des références, jusqu’aux inconscientes, jusqu’à celles de la nescience prêtées à l’opus


11 décembre 2025. 


Dans le Faust, et Méphistophélès encore — belle formule : « où les idées manquent, un mot peut être substitué à propos », où nous en serions, les idées manquantes ou s’amenuisant, non qu’aient été épuisés (si tôt dans l’opus) les poisons comme stimulants à cet égard, il semble même qu’il n’aura été fait l’expérience, l’usage d’aucun encore — les seuls alcools de nuit s’ils en sont. Le poison, dans le poison, étant que tout puisse en tenir lieu, tout au monde ; alors il doit bien être des exceptions ; l’acception pas assez resserrée du mot. 17 h 58, il faudrait avoir une mémoire infaillible de l’emplacement de phrases recherchées dans un livre, a fortiori s’agissant de phrases sues par cœur, presque ; sauf l’emplacement — afin de documenter la citation. Ce poison de l’oubli. Il est ici pensé à la phrase de Mallarmé, citée de mémoire donc et ne sachant où elle se trouve (il est supposé, mais trop lâchement, dans les Divagations) : on ne fait pas de la poésie avec des idées, mais avec des mots. Méphistophélès (Goethe, Nerval) : « où les idées manquent, un mot peut être substitué à propos ». Ce qui s’écrit ici est sans idées, ou alors : n’ayant jamais d’idées qu’enclenchées par l’écriture, avec son déploiement et en cela elle précèdera toujours. 


12 décembre 2025. 


Et se figurer que, chancelant sous l’effet d’un poison (l’un de ceux disposés, flacons, fioles, à même l’écritoire), en résulteront des chances — et non la poisse, tenez que dit l’étymologie, de poisse ? (Pas de rapport avec la poissonnerie) ; des chances dans la phrase, et plus largement dans l’opus — La digitale pourpre. De telles chances seraient ce qu’on appelle idées, ou alors : formules ficelées d’exceptionnelle manière, l’interception ici, et son importance, l’interception de ce qui traverse — l’esprit ; et là, il faut être là et ne pas se distraire de riens ambiants dans la chambre, tout ici s’échafaude en une chambre mais indescriptible, ou alors dont il n’importe pas la description, même non quelconque. Certaines des formules en question arrivant toutes faites, sans la nécessité ou à peine, de retouches ; d’autres se perdent, parce qu’ayant fulguré, parce qu’arrivées et reparties trop vite (le temps de l’éclair, donc), l’effort ultérieur de se les rappeler, voué à l’échec. J. Derrida, dans La carte postale : « Tu marchais à mon bras en éclatant de rire, nous n’avions laissé l’enfer, avec toutes ses malédictions, qu’à deux ou trois heures d’horloge derrière nous et déjà nous cherchions un autre restaurant), une heure après nous avons beaucoup mangé (poisson, poisson), et je savais pourtant, tu me le cachais à peine, que nous entrions dans la phase d’une autre « rémission ». La première fois j’eus l’idée d’une voyante. Non pas pour avoir enfin une date, une certitude, une prévision, mais pour savoir ce qu’était une voyante, comment elle analysait tout ça. » Ce passage noté il y a longtemps déjà, et qui jusqu’alors n’avait été lu que mal, assez bien cependant pour qu’ait été cornée sa page afin d’y revenir, la voyance de ce texte où il est question de voyance, comme s’il avait prémédité La digitale pourpre, d’une anticipation jusqu’à son lexique ou ses pourtours (l’enfer, le poisson, la voyance). Ceci est placé de côté, comme s’il y avait idée d’une chose qui importât, et exposée dès ici, ce serait, d’une question : où en est la phrase onirique ? Et de la reprendre, il y aurait du nouveau avec elle : « Je vous fais offrande du poisson que vous savez si ce n’est que truite cette fois (la phrase se prononce d’une traite, avoir lu « d’une truite » dans l’auditorium où nous sommes depuis près d’une heure, à écouter La truite de Schubert), son poison auquel votre organisme semble s’être fait avec les semaines — des semaines auraient passé déjà —, n’est plus tueur, s’il l’a jamais été, première nouvelle, vous revenez toujours, avec sac pour aujourd’hui y enfouir le poisson et vous retirer, 17 h 58, rien n’est commenté ici, de la phrase onirique ou revenante (ou alors cela vient ici-même), sa faculté de hanter — qui écrit déjà et peut-être : faisant trop de cas d’elle et de ses mondes, chaque version ouvrant sur un ailleurs, ou l’apparition d’une différence même infime, la justifiant d’être. La différence cependant ne l’est pas, infime, cette fois, s’énonce en effet dans la phrase l’effet anéanti du poison, n’agit plus, à supposer qu’il ait agi, qu’il ait agi même plus d’une fois (l’empoisonnée toujours se sera relevée de la mort même) ; l’autre, de la scène de l’empoisonnement neutralisée par la répétition (sédatif) c’est un possible, obligeant à des variantes à l’avenir,